Après avoir posé, en 2014, le problème des conditions de la pertinence pédagogique du numérique, nous avons choisi de consacrer l’édition 2015 à une question souvent posée actuellement : celle de l’influence du numérique sur les temps et des lieux d’apprentissage. Cette question comporte de nombreux aspects : comment concevoir un établissement favorable à une utilisation du numérique ? Les pratiques numériques influencent-elles, en elles-mêmes, l’espace et le temps de la classe ? Comment leur utilisation pédagogique peut-elle changer le moment et le lieu des apprentissages (classe inversée, pédagogie différenciée, MOOCs, apprentissages informels…) ? Comment l’enseignant peut-il contrôler ces variables pour favoriser les apprentissages de ses élèves ?
Cette réflexion doit comprendre deux niveaux : d’une part, il y a lieu d’interroger les stratégies (pour utiliser la terminologie de Michel de Certeau) qui peuvent sous-tendre les projets d’organisation des collèges au niveau de la collectivité ou de l’établissement, pour imaginer ce que peut être le collège idéal de notre époque, mais il importe aussi, et peut-être surtout, de poser la question des tactiques, ces pratiques quotidiennes par lesquelles les enseignants, et leurs élèves, peuvent s’approprier l’espace et le temps contraints de la classe pour en tirer le meilleur profit.
Le numérique peut à cet égard apporter une aide précieuse. L’utilisation de baladeurs MP3 pour l’apprentissage des langues dans le département des Pyrénées-Atlantiques dès 2005 est un exemple instructif. Les trois heures hebdomadaires d’apprentissage d’une langue vivante en collège ne suffisaient évidemment pas à permettre à chaque élève de pratiquer l’oral de façon intensive, d’autant que certains, plus timides, sont volontiers enclins à passer leur tour de parole. Quelques enseignants ont eu l’idée de détourner un appareil prévu pour les loisirs : le baladeur MP3, trouvant ainsi un moyen astucieux de permettre aux élèves d’écouter plus de langue, mais surtout de la parler, en s’enregistrant et en envoyant le fichier au professeur. Ainsi libéré de la contrainte de la salle de classe et de l’heure de cours, l’oral pouvait être pratiqué de façon beaucoup plus massive et approfondie, par le moyen d’un appareil qui n’était pas initialement destiné à cet usage.
Cet exemple a l’avantage, parce qu’il est déjà ancien, d’être facile à analyser pour en percevoir avec le recul toute la valeur innovante ; en outre la généralisation au niveau national de cette pratique confirme son adéquation aux besoins pédagogiques. De nombreux usages se développent actuellement, recourant au numérique comme soutien ponctuel ou comme ingrédient principal, qui valent la peine d’être examinés, testés, améliorés pour faciliter la tâche des enseignants et de leurs élèves.