Jean-Louis Durpaire, Inspecteur général honoraire, animera l’atelier A1 « Fracture numérique au sein de l’EPLE ? ». Il nous indique que « ce sujet a pris une dimension toute autre avec ce qui s’est passé dans le pays ». Voici, pour lancer la réflexion, la contribution qu’il a déposée sur le site de la Concertation nationale sur le numérique pour l’éducation.
« La grande concertation sur les enjeux du numérique à l’Ecole qui vient de s’ouvrir arrive à un moment très particulier de l’histoire nationale. Charlie est dans toutes les têtes… et un autre débat est lancé ; d’ailleurs sur le site ministériel, le titre principal est « Grande mobilisation pour les valeurs de la République ». Le Premier Ministre vient de parler d’un « apartheid territorial, social, ethnique » en formulant ses vœux à la presse. Les débats se succèdent dans les mass-medias sur l’école, celle-ci apparaissant à bien des égards comme la solution à ce problème national dès lors qu’elle sera revenue « à la hauteur » pour reprendre l’expression de la Ministre de l’éducation nationale. Et pour cela, il faut évidemment réaliser cette « grande mobilisation nationale », la réaliser et la faire durer, c’est-à-dire faire vivre les valeurs de la République.
Alors dans ce contexte, quel rôle peut avoir cette concertation nationale sur le numérique ? Le pire serait qu’elle ne concerne que les aficionados (dont je reconnais faire partie). Le meilleur serait, de mon point de vue qu’elle s’insère dans le débat majeur : celui des valeurs. Le numérique n’est plus une question d’équipement : la « fracture numérique » n’est pas là, on le sait depuis longtemps. Le numérique, ce n’est pas non plus une question de savoir s’il faut ajouter une discipline « informatique » à la longue liste des disciplines scolaires : ce sujet est tranché, nous semble-t-il. Le numérique, c’est d’abord une question de culture, en un double sens : d’une part la capacité à comprendre le monde, d’autre part la capacité à tisser du lien (le savoir-relation disent Mabilon-Bonfils et Durpaire F.).
Sur la capacité à décoder le monde, les évènements tragiques qui viennent d’avoir lieu en France et tous ceux qui ont suivi dans le monde, sans oublier ceux qui ont précédé (je pense au Nigéria par exemple) mettent en évidence que nos élèves de l’école au lycée sont sous-informés, mal informés. Que sait-on de leurs démarches de prise d’information ? Certes, il y a quelques universitaires qui se sont attelés à ce sujet. Mais il faudrait que notre Ecole soit davantage à l’écoute des élèves. Chaque professeur devrait d’abord être un palpeur… et être immédiatement prêt à intervenir. Pas seul. Jamais seul. C’est trop dur. Il faut la force de l’Institution… Remarquons que ce terme est trop souvent employé de manière négative alors qu’il faut pourtant « instituer » les élèves en citoyens, c’est-à-dire les « créer », les « fonder »… Quel autre nom pourrait-on donner ? Et le numérique est désormais au cœur de la vie de l’élève. Certains nient les attentats, évoquent des théories du complot… Les mass-médias nous rapportent les « preuves » que les élèves fournissent. Les professeurs ont la culture générale pour répondre, quelle que soit leur discipline mais bon nombre d’entre eux manquent de cette proximité avec les « sources » de ces jeunes. Oui, il y a ici une fracture. Donc, cette concertation sur le numérique devrait conduire à un vaste plan de formation de tous les professeurs, ou à tout le moins d’un noyau susceptible d’apporter un traitement correct de la question de nos valeurs et du numérique. Par exemple, qu’est-ce qui ou qui fait autorité sur internet ?
Sur le second point, l’école devrait être très vigilante sur les réseaux auxquels les élèves sont « affiliés ». Il faut connaître ces réseaux, en donner une typologie, réfléchir au rôle que chacun y joue… là aussi comprendre les enjeux… Evidemment, il ne s’agit pas de poser une relation entre les réseaux sociaux et les réseaux du terrorisme. Mais il faut expliquer aux élèves que les adultes informés choisissent les réseaux auxquels ils appartiennent en toute connaissance de cause (enfin , on l’espère). Les mots ont un sens… ou plusieurs. Pensons au mot « ami » utilisé sur Facebook (sujet très bien étudié par Milad Douéihi).
En conclusion de cette contribution trop longue certainement, je résume en souhaitant que ce débat sur le numérique soit inclus dans le débat sur les valeurs, et non à part et qu’il conduise à une mobilisation pour une formation de tous au numérique, que l’on comprenne enfin combien notre société est révolutionnée par le numérique. »
Jean-Louis Durpaire
Chacun est invité à contribuer sur le site de la Concertation nationale sur le numérique ouverte jusqu’au 9 mars et à participer à la table ronde de concertation académique prévue à 17h, au collège Marguerite de Navarre de Pau.